Lucinga,
A Lucinga, ce samedi matin, nul ne manque au grand rassemblement. Les femmes ont sorti leur plus belle robe et trébuchent sur des sandales à talons hauts, les hommes sont en chemise blanche, les jeunes guerriers coiffés de peaux de léopard tressautent d’impatience, des vieux portent des peaux de bêtes héritées de leurs pères. Le chef est mort, vive le chef…
Héritier de son père, récemment décédé, le nouveau chef Patrick Chiralanganyi assure la succession et il a tenu à faire les choses dans les règles. Une messe célébrée par plusieurs prêtres se déroule depuis le matin, suivie par une foule compacte abritée du soleil par des dais de toile. L’autel dressé sur le perron de la maison familiale est garni de fleurs, de peaux d’animaux sauvages ; de grands paniers d’osier débordent de manioc, de haricots rouges, de fruits éclatants.
L’office se déroule dans le recueillement général mais avant la fin, les notables, jusque là calmement installés au pied de l’autel, se lèvent et rejoignent un enclos de pieux, soigneusement dissimulé aux regards. Le Mwami Pierre Ndatabaye, grand chef traditionnel de la chefferie de Walungu, près de Bukavu, est applaudi avec respect lorsqu’il pénètre dans l’enclos où, en présence des guerriers et des notables, il adoube le nouveau chef du groupement. Après de longues minutes d’attente, le nouveau maître apparaît, ceint de tous les attributs de sa fonction, dont des peaux d’animaux sauvages et une toque de léopard. Il salue la foule et ouvre le début des festivités, pour lesquelles tous les participants ont cotisé dans la mesure de leurs moyens. Les bières circulent et aussi de grands plateaux de manioc, de légumes, de viandes diverses. C’est la fête. Les musiciens jouent, les danseurs trépignent , la foule rit et se régale. Des dizaines de 4X4 sont venues de Bukavu, ramenant au village des notables vivant en ville et qui ont sans doute contribué aux frais…
Le Mwami Ndatabaye nous reconnaît et nous invite à le rejoindre. Lors de notre avant-dernière rencontre, alors que la province du Sud Kivu était occupée par des rebelles alliés aux troupes rwandaises il vivait caché, craignant pour sa vie et les populations locales le protégaient dans des lieux discrets. Aujourd’hui , il se souvient de ces années au cours desquelles le Sud Kivu fut occupé, pillé : « plusieurs autres Mwami furent assassinés, car ils incarnaient la résistance du peuple. Tout avait été mis en œuvre pour nous mater, mais c’était mal connaître les Bashi… »
Dès que la paix revient, la nature triomphe
Ce peuple coriace et travailleur, qui n’a rien oublié des guerres incessantes menées dans le passé contre le voisin rwandais, jusqu’à la mort au combat du roi Rwabugiri à la fin du 19 en siècle, a survécu à la dernière guerre et à l’occupation étrangère. SI nombre de ses habitants ont cherché refuge à Bukavu, d’autres sont revenus au village. Ils y ont retrouvé un immense marais où ont repris les cultures de légumineuses, de manioc, de patates douces, de haricots, sur des terres allouées par les chefs. Les groupes armés, parmi lesquels les Interhahamwe rwandais se sont repliés vers les hautes montagnes et, la paix étant revenue, le travail a repris. A peine terminée la cérémonie d’intronisation, les femmes ont hissé sur leur dos leurs hottes chargées de légumes et de manioc, les garçons ont enfourché leurs motos rutilantes pour emmener les récoltes vers Bukavu ou le marché voisin de Mugogo.
Les solutions de l’agro écologie
Sylvain Mapatano, qui dirige l’association Diobass, Agrologie et société est un partenaire important du CNCD et de SOLSOC. Il a retrouvé son optimisme : « ici, sitôt la guerre terminée, le travail a repris. En outre, la diaspora s’est émue des guerres à répétition, de la crise du Covid. Eparpillés dans le monde entier, des Kivutiens se sont réveillés et grâce aux téléconférences, ils ont pris connaissances des besoins du milieu. L’association « Bukavu For Bukavu » réunissant des compatriotes du monde entier, soutient activement les projets dans la région, l’espoir renaît.
Diobass contribue activement à cette résurrection : dans le village de Kakono, sur l’un des sites désaffectés de la concession Pharmakina, qui produisait de la quinine depuis l’époque coloniale jusqu’à tout récemment, un centre d’études agroécologiques va bientôt voir le jour et il portera le nom de l’agronome belge Hugues Dupriez, l’un des initiateurs de l’agroécologie. Accueillis dans une ancienne ferme aménagée, des étudiants issus des facultés d’agronomie de la région seront invités à oublier l’usage des pesticides et autres intrants chimiques et ils découvriront la générosité de la nature.
Partout au Sud Kivu, sitôt que la guerre recule, que les hommes armés disparaissent, la nature fertile reprend ses droits, les hommes et les femmes leurs outils. A Nyangezi, Clément Bisimwa, coordinateur d’Entr’aide et Fraternité, est fier de nous présenter quelques membres de son association paysanne, CODEKA (cmité pour le développement de Karhongo) accompagné par le partenaire GAB. Ils sont plus de 5000 membres dont 60% de femmes et 900 jeunes de 17 à 30 ans accompagnés par les ONG congolaises de Fizi, Nyangezi, Uvira, Kamanyola, Walungu, Kabare et Kalehe. Ils produisent de l’huile de palme, du maïs, des légumes, des amarantes, choux, haricots, et vendent à Bukavu et à Uvira. Clément nous explique comment, voici 5 ans, les paysans revenus sur leurs terres pacifiées ont opté pour les techniques exclusives de l’agroécologie : « l’engrais naturel est fourni par le bétail, nous produisons du manioc, de l’huile de palme vendue sur la frontière burundaise. Les légumes, aubergines, amarantes, choux, haricots, sont vendus à Bukavu et nous pratiquons la rotation des cultures afin de ne pas épuiser la terre. Comme nous n’achetons plus d’intrants chimiques, nos bénéfices augmentent et notre revenu a augmenté de 70%. »
Toussaint, un homme de trente ans en veste rose, qui s’est confectionné un masque protecteur avec de vieux paniers et un grillage, a fait tous les métiers avant de devenir apiculteur et sa vie résume presque tous les bouleversements de la région : enseignant au départ, il s’est retrouvé au chômage puis il est devenu chauffeur. Lorsque la guerre a bloqué les transports, il a rejoint l’un des maquis sévissant dans la région. Sitôt que les groupes armés ont reculé vers les montagnes il a rejoint le groupement paysan et s’est lancé dans l’apiculture. Avec fierté, il nous emmène dans la forêt pour y découvrir ses ruches suspendues dans les arbres. Sa production, sous le label « miel de Nyangezi « est vendue avec succès à Bukavu, où un pot vaut dix dollars. Il produit aussi de l’hydromel et s’est lancé dans la fabrication de bougies.
A Nyangezi, dans le Ngweshe, vers Kavumu au-delà de l’aéroport, les paysans mobilisés au sein de la Fédération des agriculteurs du Congo découvrent combien leur terre est généreuse et comment ils peuvent se passer d’intrants importés. Ainsi à Murhesa, des étangs voués à la pisciculture ont été creusés au milieu des grands arbres. Les 105 membres du groupement se relaient pour nourrir les tilapias qui remuent l’eau verte. Tout leur convient, des déchets ménagers, des fanes de légumes. Les paysans s’organisent aussi pour assurer des rondes nocturnes : venus du parc de Kahuzi Biega où subsistent des groupes armés, des voleurs tentent de capturer les poissons ayant atteint la taille adulte. « Nous nous défendons », disent les paysans, « car grâce à nos poissons, nos ruches, nos légumes, nous arrivons à payer l’école des enfants.. ».